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Modélisation des interactions en Italie du Nord au premier âge du Fer : de la circulation de parures aux réseaux d'influences culturelles
Veronica Cicolani, Thomas Huet, Lorenzo Zamboni
Résumé : Dans les approches traditionnelles fondées sur les sources écrites, le plus souvent postérieures et reflétant un point de vue extérieur, les cultures archéologiques de l'Italie du Nord sont souvent définies comme étant des entités autonomes (peuples), caractérisées par des productions spécifiques et surtout délimitées par des frontières géographiques et culturelles clairement établies. Dans le cadre du projet ANR JCJC Itineris (https://itineris.huma-num.fr/), consacré à l'étude des pratiques artisanales en Italie nord-occidentale au premier âge du Fer, le réexamen critique de la documentation et l'analyse des nouvelles données permettent d'aborder sous un autre angle de vue les relations entre entités culturelles et territoriales, dépassant l'interprétation dichotomique et hiérarchique de centre-périphérie et les approches culturalistes. Il est alors possible d'interpréter les processus d'interaction entre entités dites marginales à travers une modélisation des données archéologiques. Cet article propose donc de réexaminer les rôles des populations décrites comme périphériques dans les réseaux d'interactions et de transferts technoculturels avec les grands « centres » : domaines culturels de Golasecca, ligure, étrusque et Este. Le corpus retenu rassemble plus de 2000 objets en alliage à base cuivre, essentiellement des parures et des déchets liés à leur fabrication, issus tant des habitats que des contextes funéraires, bien documentés et localisés dans le Piémont méridional (communautés indigènes de Ligurie intérieure) et en Émilie occidentale (communautés indigènes du secteur occidental de la plaine du Pô). Par l'application de modèles statistiques (programmation R et analyse des réseaux), l'objectif a été de visualiser et ordonner ces données, complexes et hétéroclites, afin de dégager une première typologie dynamique de réseaux et de sous-réseaux connectés, reliant entités périphériques et grands domaines culturels selon des géométries variables. Pour cela faire, le corpus, qui fait l'objet de publications et révisions récentes, a été structuré sur la base de descripteurs hiérarchiques et sa caractérisation (typologie, contexte et quantification) complétée par l'ajout d'une variable qualitative, ici nommée « style ». Ce critère, issu de l'étude morphostylistique de chaque objet, a pour rôle de traduire en termes factuels les goûts/adaptations locales de modèles et types suprarégionaux, permettant ainsi de modéliser les rapports d'influence culturelle entre communautés. La modélisation, fondée sur la théorie des graphes et l'application d'algorithmes de détection de communautés (ici edge.betweenness.community, du package "igraph" de R), permet d'évaluer le degré d'importance et de proximité entre les groupes par segmentation hiérarchiques des liens, aboutissant ainsi à l'identification d'ensembles cohérents (communautés de caractères). Appliquée pour chaque période, les résultats de cette modélisation sont ensuite représentés sur une carte pour faciliter la lecture spatiale et l'interprétation géographique des résultats obtenus. Cette démarche a mis en évidence le rôle majeur des fibules en tant qu'élément vestimentaire et ornement le plus adopté et adapté, tant sur le plan morphologique que stylistique et technique. Néanmoins, sa présence diffuse dans l'ensemble de l'Italie du Nord finit par masquer la reconnaissance et la circulation de certaines connexions plus spécifiques, soulevant le problème de l'usage de ce marqueur en tant qu'indicateur privilégié de mobilité ou d'identité culturelle. Si l'influence de Golasecca est attestée le long de toute la période ici considérée, des interactions plus localisées et centrées sur des classes spécifiques d'objets dévoilent un jeu subtil d'influences qui traduit des relations à géométrie variable, jamais univoques et unidirectionnelles, et où productions locales, adaptations, créativité et importations décrivent des réalités sociales en mouvement et d'une complexité croissante.
Ainsi, cette étude comparative des types et des styles de vêtements anciens et leur mobilité permet d'explorer plus en profondeur la nature de leurs interactions, tout en clarifiant, par la même occasion, l'impact de leur diffusion à courte et moyenne échelle en Italie du Nord.
Mots-clés : Âge du Fer, Italie du Nord, réseaux, modélisation des interactions, identités matérielles, parures, influence culturelle, périphéries.
Abstract: In traditional approaches based on written sources, most often posthumous and reflecting an external point of view (etic), Italian archaeological cultures are often defined as autonomous entities (peoples), characterized by specific productions and sharing clearly established geographical boundaries. Within the framework of the ANRJC Itineris (https://itineris.huma-num.fr/), focusing on the study of craft practices in north-western Italy during the first Iron Age, the critical re-examination of the documentation and the analysis of new data allows us to approach the interactions between cultural entities from another angle, going beyond the dichotomous and hierarchical interpretation of centre-periphery, and thus to be able to interpret the phenomena of cultural interactions between so-called marginal entities through a modelling of the archaeological data. This paper therefore proposes to re-examine the roles of italic populations described as peripheral within the networks of interaction and technocultural transfers that developed in the early Iron Age in northwestern Italy. By applying statistical and spatial data modelling (R program and Graph theory), it is possible to visualise and order complex and heterogeneous data, such as archaeological records, as well as to identify a dynamic typology of connected networks and sub-network. The selected data set includes more than 2000 copper-based alloy objects, mainly ornaments and the waste products associated with their production, from both settlements and funerary contexts, well documented and located in southern Piedmont (indigenous communities in Inner Liguria) and western Emilia (indigenous communities in the western sector of the Po valley). By applying statistical models (R programming and network analysis), the aim was to be able to examine and classify this complex and heterogeneous data, in order to identify a first dynamic typology of connected networks and sub-networks, linking neighbouring entities and major cultural areas according to variable geometries. This data set, which has recently been published and revised, has been structured on the basis of hierarchical descriptors, and its characterization (typology, context and quantification) has been completed by adding a qualitative variable, here called 'style'. The role of this factor, based on the morphostylistic study of each object, is to translate into factual terms the local tastes/adaptations of supra-regional models and types, thus making it possible to model the relationships of cultural influence between communities. The modeling, based on graph theory and the application of community detection algorithms (here edge.betweenness.community, from 'igraph' R package) enables the degree of importance and proximity between groups to be assessed by hierarchical segmentation of links, in order to identify coherent clusters. By breaking the links between sub-groups of nodes, we can identify groups of nodes that share more with each other than they share with the other nodes in the graph (communities of attributes). Applied for each period, this segmentation is represented on a map by assigning the color of the groups (clusters) to the sites, thus facilitating spatial reading and geographical interpretation of the results. The visual analysis of the graph, or the statistical analysis of the network, is in fact both a model and a powerful formalism, but it is no substitute for the archaeological and historical interpretation of the data. This approach has highlighted the major role played by fibulae as the most widely adopted and adapted item of clothing and ornament, in terms of morphology, style and technique. Nevertheless, their widespread occurrence across the whole of northern Italy ultimately masked the identification and circulation of more specific connections, raising the issue of the use of this marker as a key indicator of mobility or cultural identity. While the influence of Golasecca is attested throughout the period under consideration here, more localised interactions based on specific classes of objects reveal a sophisticated interplay of influences that reflects relationships with variable geometry, never unambiguous or unidirectional, and where local production, adaptation, creativity and imports describe social realities on the move and of growing complexity.
Starting from this point of view, the comparative study of clothing item types and styles has allowed us to explore more deeply their interactions, clarifying, by the same way, the impact of their dissemination in a medium scale: Northern Italy. Highlighting these dynamic, non-exclusive links based on creativity and adaptation, rather than on predefined geographical or cultural boundaries, illustrates how these boundaries are socially negotiated and dynamically recomposed over time, defying the traditional, unidirectional perception of a hierarchical structure of dependence between center and periphery.
The goal is to produce operational distinctions between local productions, imports, imitations, and local transformations. By modelling the fashion tradition through the analysis of shared clothing items, this paper would like to propose a critical review of the markers of cultural identity, mobility, interaction traditionally used looking for alternative theoretical interpretation and social narrative of the role of indigenous communities in the North Italic trade et craft activities.
Keywords: First Iron Age, Northern Italy, networks, interaction modeling, material cultures, ornaments, buffer zones, cultural influence.