A propos des éponymes : 150 ans de construction du discours scientifique autour des gisements de référence en Préhistoire
Mâcon-Solutré-Châtelperron, 26 au 28 mai 2025
Dans le cadre de ses séances scientifiques annuelles, la Société préhistorique française organise une table ronde consacrée à la fabrique et au succès des éponymes en Préhistoire. Réalisé en partenariat avec le ministère de la Culture et l’UMR 5608 (Traces), cet événement se tiendra du 26 au 28 mai 2025 dans les locaux du Conseil départemental de Saône-et-Loire à Mâcon.
Si le recours à l’éponyme est un procédé de formation des termes très productif, il reste un phénomène sociologique encore très peu étudié par les historiens des sciences. Hérité des premières classifications industrielles, son usage en Préhistoire cristallise au point de tension de deux traditions académiques : naturaliste tout d’abord, qui fonde de longue date sa pratique sur les principes de l’association stratigraphique ; historique ensuite, à laquelle il emprunte les outils de la typologie archéologique. Devant la diversité des assemblages et des configurations rencontrées, l’éponymie présente le double avantage d’étendre presque à l’infini les possibilités de dénomination, en mettant à disposition des scientifiques le répertoire des toponymes tout en fournissant des stratigraphies directrices pour saisir l’évolution des sociétés et apprivoiser la profondeur des temps préhistoriques. Dans ce contexte, le projet de distinguer des époques au sein de ce vaste champ chronologique a très tôt tiré profit de ces atouts, chaque étage recevant, comme en géologie, le nom de la « localité la plus connue et la plus typique » (Mortillet 1869 : 173), décliné dès 1872 sous la forme d’un adjectif, conformément aux règles de nomenclature préconisées par Alcide d’Orbigny dans le domaine de la paléontologie stratigraphique.
De ce point de vue, les sites éponymes sont intimement liés à la définition de la Préhistoire en tant qu’espace de savoir autonome sur les origines de l’Homme : ils constituent des jalons privilégiés pour saisir les étapes qui ont conduit à la formation intellectuelle de la discipline ; incidemment, ils en augmentent aussi la charge mémorielle et il convient donc de s’interroger sur la valeur épistémologique de vestiges qu’ils renferment et des représentations qui s’y rapportent.
Il apparaît également utile de questionner les motivations de l’éponymie et ses nécessités historiques : au-delà du gisement lui-même et de sa représentativité, une telle problématique suppose d’aborder résolument le contexte des découvertes et les conditions de leur réception, à travers notamment la figure de médiateur du fouilleur ; elle implique également de comprendre les ressorts sociologiques de ces choix, à la lumière des positions établies et des enjeux institutionnels.
En cela, l’éponymie résulte d’une construction réciproque entre l’archéologue et le gisement ; bien plus, elle procède presque toujours par accrétion des travaux de plusieurs générations de chercheurs. La plupart des sites éponymes ont été découverts très tôt, dès les années 1860, impliquant un retour périodique des archéologues sur le terrain pour questionner l’exemplarité du locus typicus. Depuis plus d’un demi-siècle, la reprise des fouilles sur les gisements qui fondent le projet préhistorien apparaît ainsi comme une pratique régulière, dont le caractère d’originalité doit ici être interrogé. Depuis une dizaine d’années, des chercheurs issus d’horizons scientifiques divers (archéologues, historiens des sciences, etc.) ont repris les études sur certains de ces sites, entraînant presque toujours une reprise des travaux sur le terrain et une révision critique des données anciennes. Dépassant la perspective d’une recherche procédant par accumulation successive, les équipes engagées se sont donné les moyens d’éviter l’écueil d’une simple narration historique visant à fonder la dette intellectuelle de la Préhistoire vis-à-vis de ses références ; à contre-courant, elles abordent les éponymes comme des objets d’étude « totaux », mettant en lumière la complexité et la richesse de leur contenu scientifique et historiographique.
Cette convergence d’intérêt autour des « stations classiques » et des gisements de référence offre l’opportunité de procéder à une première évaluation des acquis de leur réexamen. Il ne s’agira pas, à travers ces journées d’étude, de se livrer à un inventaire des recherches récentes ou d’en livrer l’essentiel des résultats. Il conviendra plutôt d’insister sur les problématiques posées, les stratégies d’analyses retenues, les outils et techniques convoqués pour interroger les sites éponymes.
Par-delà les questions méthodologiques, particulièrement signifiantes dans ce contexte (du fait de la récurrence des fouilles de ces gisements et du poids de l’histoire de la recherche), il conviendra également de prendre en compte les acquis majeurs des travaux récents pour la connaissance des gisements et des conditions d’exercice des préhistoriens depuis le second tiers du XIXe s. à nos jours. Sous cet aspect, des communications de portée générale, visant à restituer la pratique de l’éponymie dans le contexte plus général du développement de la science préhistorique, pourront utilement venir éclairer le propos monographique. Elles chercheront notamment à questionner les conditions de son succès ou de son refus, en fonction des trajectoires et des configurations historiques envisagées.
La table ronde se déroulera pendant une journée et demie (26 après-midi, 27 matin et 28 mai matin) et sera divisée en trois sessions. Chacune d’entre elles sera introduite par le président de séance. 6 à 8 communications, d’une durée de 25 min. suivies de 5 min. d’échange avec la salle, permettront d’enrichir les débats. Chaque session se terminera par une discussion plénière.
Les thématiques retenues pour chacune de ces sessions sont les suivantes :
1. La forge de l’éponyme : motifs intellectuels et nécessités historiques.
2. Le choix de l’éponyme : études de cas.
3. Actualité de la recherche autour des gisements de référence en Préhistoire.
Les actes de cette table ronde seront publiés dans la collection des Séances de la Société préhistorique française. Une visite du musée départemental de Préhistoire de Solutré sera proposée aux participants le lundi 26 mai 2025 en soirée, ainsi qu’une excursion à la « Grotte des Fées » de Châtelperron (Allier) l’après-midi du mardi 27 mai 2025, en partenariat avec Préhistorama.
Les propositions de communications sont à remettre avant le 15 décembre 2024.
Raphaël Angevin Service régional de l’archéologie DRAC ARA (Clermont-Ferrand) UMR 7041 – ArScAn
François Bon Université de Toulouse 2 -Jean Jaurès UMR 5608 – Traces
Mathieu Lejay Géoarchéon UMR 5608 – Traces