07-2023, tome 120, 2, p. 219-251 - Mougne C., Dupont C. (2023) – Marine invertebrates during the Bronze Age and the Iron Age on the French Channel-Atlantic seashore: state of the art and first synthesis

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07-2023, tome 120, 2, p. 219-251 - Mougne C., Dupont C. (2023) – Marine invertebrates during the Bronze Age and the Iron Age on the French Channel-Atlantic seashore: state of the art and first synthesis

Marine invertebrates during the Bronze Age and the Iron Age on the French Channel-Atlantic seashore: state of the art and first synthesis

 

Caroline Mougne, Catherine Dupont

 

Abstract: The exploitation of marine invertebrates (molluscs, crustaceans, and echinoderms) on the French Channel-Atlantic coast is a poorly known topic in archaeology for the Bronze Age and the Iron Age (2300/2200 to 25 BC). The primary aim of our work is to assess whether this lacuna is due to the absence of data or rather to a bias related to researchers??? lack of interest in this type of archaeological remains. We have drawn up an inventory of all the 240 archaeological sites (including both islands, coastal-continental and inland-continental sites) where marine invertebrates were identified. Archaeomalacological studies were available for 41 sites, 39 of which were studied by the authors of this paper. Firstly, the unprecedented discovery of some species led to new methodological developments. Secondly, the results enable us to broach a variety of issues, such as the types of exploited environments, the subsistence economy (diet, geographical specificities, exchange networks), artisanal activities (dyeing, personal ornaments, construction materials), as well as funerary and ritual practices (deposits, ritual meals). Combined with other archaeological data, the study of marine invertebrates thus contributes, in an unprecedented way, to a better understanding of the socio-economic and cultural systems of coastal and continental communities during this period.

 

Keywords: archaeomalacology, shell, Bronze Age, Iron Age, Atlantic French coast, economy, ritual, ornament.

 

Résumé : Cet article propose une synthèse de l'exploitation des invertébrés marins (mollusques, crustacés et échinodermes) le long du littoral Manche-Atlantique de la France à la période protohistorique (2300/ 2200 à 25 av. J.-C.). Il intègre de nombreuses études qui se sont multipliées depuis 2010 sous l'impulsion d'une thèse dédiée à cette thématique.

Un des premiers objectifs de la synthèse proposée est de dresser un inventaire de tous les sites archéologiques qui ont livré des invertébrés marins, à savoir un total de 240 sites. Parmi eux, 41 ont fait l'objet d'une étude archéomalacologique marine, dont 39 ont été effectuées par les auteures de cet article. Les résultats obtenus permettent d'aborder la question de l'exploitation des milieux et des pratiques alimentaires, artisanales, architecturales, funéraires et cultuelles des populations protohistoriques concernées.

Ainsi, quelle que soit la zone du littoral abordée, les environnements côtiers exploités dans l'Ouest de la France durant l(âge du Bronze et l'âge du Fer sont essentiellement les milieux rocheux. Ce type de substrat a pu être choisi du fait d'une plus grande accessibilité des espèces qui y vivent, dans la mesure où ces dernières peuvent être repérées directement à la surface du rocher. L'exploitation du milieu sableux semble, quant à elle, fortement liée à des contextes funéraires et cultuels et à des utilisations singulières (parure et offrandes). La totalité des espèces consommées présentes sur les sites était collectée en zone intertidale, c'est-à-dire, à pied sec. L'environnement proche d'un site et les invertébrés marins disponibles localement ont probablement joué un rôle important dans les choix des espèces consommées, indiquant la pratique d'une collecte à pied réalisée dans les environs immédiats de l'habitat. Toutefois, le spectre des espèces découvertes sur les sites archéologiques révèle généralement une collecte sélective qui suggère des choix culturels parmi les espèces disponibles.

 

De fait, l'étude des pratiques alimentaires permet de souligner de façon inédite des spécificités régionales. Ainsi, les actuelles régions de la Normandie, de la Bretagne et de l'Aquitaine se caractérisent par des assemblages malacologiques et un mode de sélection distincts. En Bretagne, la patelle Patella sp. est omniprésente, tandis qu'elle est totalement absente de l'alimentation des habitants de la Normandie. Ces derniers consomment essentiellement des moules communes Mytilus edulis. Pour ce qui est de l'Aquitaine, les spectres malacofauniques varient selon les sites, même pour ceux de période identique. Il est à noter que les populations protohistoriques de cette région ne semblent pas s'être focalisées sur le ramassage d???une seule espèce, à l'inverse des régions plus septentrionales.

D'un point de vue diachronique, en Normandie et en Bretagne, les espèces sélectionnées sont les mêmes pendant l'âge du Bronze et l'âge du Fer. Ces régions se différencient de l'Aquitaine, où une évolution des pratiques alimentaires entre le Bronze ancien et La Tène finale est clairement perceptible. En effet, si pendant l'ensemble de la Protohistoire la patelle, la moule commune et la scrobiculaire Scrobicularia plana sont consommées, l'huître plate Ostrea edulis et la palourde européenne Ruditapes decussatus intègrent le régime alimentaire des populations à partir de la fin de l'âge du Fer. L'inclusion de l'huître plate, voire de la palourde, en tant que composants majeurs des régimes alimentaires des populations côtières, pourrait résulter d'une influence romaine. Cette dernière est d'ailleurs connue sur d'autres produits marins, comme les poissons par exemple. La consommation de l'huître plate augmente par la suite, à savoir, au début de l'époque gallo-romaine.

A cette époque, une évolution des pratiques alimentaires se produit en Normandie et en Aquitaine. Des coquillages marins frais sont importés dans l'arrière-pays pour y être consommés, et ce, jusqu'à 120 km du littoral. La consommation des coquillages dans les terres pouvait, à en juger par leur rareté, être réservée à quelques individus ou groupes sociaux d'un rang élevé. Des réseaux d'échanges, voire un commerce de mollusques et plus largement de produits marins, existaient probablement pour approvisionner ces sites de l'hinterland.

Outre leur place dans l'alimentation, les invertébrés marins ont également joué un rôle dans plusieurs activités artisanales durant la Protohistoire :

- l'utilisation du pourpre dans des activités tinctoriales est attestée uniquement en Bretagne, et ce, au moins dès l'âge du Fer voire dès l'âge du Bronze, ce qui est, dans les deux cas, une attestation inédite pour l'Ouest de la Gaule. En effet, cette activité n'était connue jusqu'à présent sur tout le territoire français qu'après la conquête romaine ;

- pour la parure, au moins quatre espèces de coquilles ont servi de matière première, à savoir le cyprée Trivia monacha, la littorine obtuse Littorina obtusata, le dentale Antalis sp. et la coque Cerastoderma sp. Les collections étudiées se caractérisent par leur hétérogénéité, aussi bien d'un point de vue géographique, chronologique, contextuel que morphologique. Une différenciation marquée entre les espèces réservées à la parure et celles destinées à la consommation est observée pendant la Protohistoire, constat déjà réalisé pour la Préhistoire le long des côtes atlantiques françaises. Il semblerait qu'à l'âge du Bronze la coquille utilisée pour la confection de parure soit progressivement remplacée par les métaux. Ces matériaux sont plus résistants et permettant de créer des formes plus complexes ;

- les restes d'invertébrés marins et particulièrement les coquilles de mollusques sont parfois utilisés comme matériaux de construction. Sur la façade atlantique française, un tel recyclage de coquilles est connu dans la construction des murs ainsi que pour assainir les sols. Ce recyclage concerne deux taxons consommés en grande quantité, à savoir la patelle et l'huître plate. La réutilisation de ces deux espèces est due à leurs propriétés physico-chimiques : leurs coquilles résistent aux pressions mécaniques, drainent les flux d'eau et sont perméables, absorbant l'humidité ambiante, souvent importante en milieu côtier et insulaire. L'utilisation des coquilles dans les constructions est proportionnellement liée à l'importance de leur consommation.

Les invertébrés marins jouaient également un rôle non négligeable au sein des systèmes de pensée et de croyances des populations protohistoriques. Ils sont ainsi parfois repérés sous forme de dépôts votifs, d'offrandes alimentaires ou encore de restes de repas rituels ou communautaires. Ils ont été déposés, voire mis en scène, dans au moins trois secteurs le long de la façade française de la Manche et de l'Atlantique : en Plaine de Caen, sur les côtes bretonnes et charentaises. Les espèces d'invertébrés marins intervenant dans les pratiques funéraires et cultuelles varient. Il s'agit le plus souvent de taxons consommés de manière régulière et faisant partie du régime alimentaire, comme la patelle en Bretagne ou la moule en Plaine de Caen. Les coquillages de la famille des Cardiidés (coque Cerastoderma sp. et bucarde Acanthocardia sp.) semblent être également sélectionnés pour des événements particuliers liés aux pratiques cultuelles en Plaine de Caen. Chaque contexte se caractérise par un assemblage spécifique, que ce soit au niveau des espèces choisies ou des objets associés. Ces pratiques sont difficilement généralisables du fait la rareté de leur découverte et de la diversité des objets et coquilles associées. Elles témoignent de pratiques variées qui pourraient correspondre des manières de faire et de penser distinctes.

Cette synthèse sur les restes coquilliers marins de la Protohistoire n'en est qu'à ses débuts. Les données obtenues sont prometteuses et innovantes. Les résultats soulignent les implications de ces animaux marins dans de nombreux domaines de la vie des communautés de l'âge du Bronze et de l'âge du Fer et permettent d'aborder des thématiques inédites.

 

Mots-clés : archéomalacologie, coquillage, âge du Bronze, âge du Fer, Atlantique, France, pratiques alimentaires, rituel, parure.