07-2014, tome 111, 2, 2014, p. 211-224 - E. PONS-BRANCHU, R. BOURRILLON, M. W. CONKEY et al. - Datation par les séries de l'uranium de formations carbonatées associées à des représentations rupestres : intérêt et limites

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07-2014, tome 111, 2, 2014, p. 211-224 - E. PONS-BRANCHU, R. BOURRILLON, M. W. CONKEY et al. - Datation par les séries de l'uranium de formations carbonatées associées à des représentations rupestres : intérêt et limites

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La méthode de datation par les déséquilibres dans la série de l'uranium (Uranium-Thorium ou U/Th), développée il y a une cinquantaine d'années, a prouvé son utilité et sa fiabilité pour dater des carbonates secondaires en milieu marin (coraux) ou continental (spéléothèmes). Associée à la datation 14C sur les coraux et spéléothèmes, elle contribue à l'établissement des courbes de calibration de cette méthode pour les derniers 50000 ans (Bard et al., 1990; Hoffmann et al., 2010; Reimer et al., 2013). L'amélioration des techniques analytiques (thermo-ionisation mass spectrometry TIMS, puis multicollector-inductively coupled plasma mass spectroscopy MC-ICPMS, et l'ablation laser à laquelle elle peut être couplée) en autorisant la datation U/Th de très petits échantillons, accroît les possibilités de cette méthode. Son application aux voiles de calcite déposés sur des parois ornées (gravures ou peintures) s'est développée au cours des dernières années. Les données chronologiques obtenues représentent, selon l'emplacement du dépôt carbonaté daté par rapport au décor pariétal, un terminus ante quem (situé sur la peinture) ou un terminus post quem (situé sous la peinture).
D'?abord anecdotiques et limitées à de rares gisements (Bischoff et al., 2003; Plagnes et al., 2003; Pike et al., 2005; Fontugne et al., 2013), ces applications sont devenues plus nombreuses récemment. Ainsi, Pike et al. (2012) ont réalisé une cinquantaine de datations dans onze grottes ornées de la région cantabrique (Espagne), dont les résultats s'échelonnent entre 173 ± 9 et 41400 ± 570 ans avant le présent. Des âges très anciens ayant été trouvés (supérieurs à 41000 ans dans un cas), les auteurs ont émis l'hypothèse que certaines oeuvres pouvaient avoir été réalisées par l'homme de Neandertal. Bien que fondée sur un seul point de datation, cette hypothèse a été largement reprise par les médias.
Le présent article décrit les difficultés présentées par l'utilisation de la méthode U/Th sur des voiles de calcite. Ces difficultés sont liées, d'une part, à l'évolution géochimique de la calcite en relation avec la circulation hydrique au sein des cavités, qui peut parfois fausser les âges s'il y a eu échanges des radioéléments étudiés entre l'échantillon et son environnement au cours du temps (« système ouvert »), en particulier par lessivage de l'uranium (Plagnes et al., 2003). Elles sont liées d'autre part, à un apport initial possible de 230Th par le biais de matériel détritique qu'il faut prendre en compte pour corriger les résultats.
Ainsi, il est important, lorsqu'il y a des variations notables des teneurs en uranium et des rapports d'activité 234U/238U, dans une même cavité, de tenter d'en expliquer les raisons en relation avec la géomorphologie de la grotte étudiée et de rechercher si les données permettent d'envisager un départ ou une arrivée tardive (système ouvert) de radioéléments. Il est donc fort regrettable que l'article de Pike et al. (2012) sur les grottes espagnoles ne présente pas les teneurs en uranium des échantillons datés et ne discute pas la variabilité des rapports d'activité 234U/238U. L'absence des teneurs en uranium coupe court à toute discussion sur la possible mobilité (départ) de ce radioélément par lessivage qui aurait conduit à un vieillissement des âges U/Th et, de ce fait, il n'est pas possible d'apprécier la pertinence des données chronologiques, même si la mesure sur l'ICPMS, en elle-même, n'est pas à remettre en cause. A titre d'exemple, on peut calculer que si la teneur en uranium de l'échantillon qui a donné l'âge le plus vieux avait été à l'origine 10% plus élevée (i. e. 10% de l'uranium parti par lessivage), l'âge réel serait 37000 ans et si elle avait été 15% plus élevée l'âge réel serait 35000 au lieu des 41000 ans obtenus. Il est donc important, pour valider les âges, de vérifier que les conditions d'application de la méthode U/Th sont réunies, voire de conforter les résultats de l'U/Th avec ceux d'autres méthodes de datation. De fait, le 14C permet aussi de dater les formations carbonatées, même si son application à la calcite prélevée en grotte n'est pas exempte de problèmes, liés en particulier à la présence plus ou moins importante de carbone mort dont la proportion doit être estimée et prise en compte pour corriger l'âge (e. g. Goslar et al., 2000; Hua et al., 2012).
Ainsi, la confrontation des résultats obtenus sur les mêmes échantillons par les méthodes U/Th et 14C est une nécessité pour tester leur fiabilité et leur cohérence respective. Plusieurs exemples récents ont illustré l'intérêt de croiser ces deux méthodes sur les voiles de calcite recouvrant des peintures rupestres ou sur des spéléothèmes, pour démontrer la non validité des âges obtenus (systèmes ouverts), ou au contraire les conforter (e. g. Labonne et al., 2002; Plagnes et al., 2003; Fontugne et al., 2013).
Mentionnons enfin que lorsque les dépôts recouvrant les oeuvres pariétales sont analysés sur toute leur épaisseur, on obtient des âges moyens qui peuvent être fort éloignés du geste créateur que l'on souhaite dater. En effet, la croissance des voiles de calcite est contrôlée principalement par des facteurs environnementaux (températures et précipitations à l'extérieur), cette croissance étant favorisée en période tempérée et humide, et ralentie ou arrêtée en période climatique froide et aride. Bon nombre de dépôts de calcite recouvrant les oeuvres sont tardiglaciaires ou Holocène (les derniers 12000 ans) et donc bien postérieurs à la réalisation des tracés, ou ils datent d'un bref épisode de réchauffement du stage isotopique 3, ce qui nous rapprocherait de l'âge de la création. Les âges déterminés sur les voiles de calcite peuvent aussi représenter un âge moyen entre plusieurs phases de croissance. Quoiqu'il en soit, ces informations apportent des éléments de réflexion utiles, une fois que la validité des âges est vérifiée au plan méthodologique.

 

The Uranium-Thorium (U/Th) series dating method, developed 50 years ago, has proven its usefulness and reliability for the dating of marine (corals) and continental (speleothems) secondary carbonates deposits. Recently, improvements of the analytical techniques (TIMS Thermo-Ionization Mass Spectrometry, and then MC-ICPMS Multicollector-Inductively Coupled Plasma Mass Spectroscopy and laser ablation) allow the dating of very small samples and increase the potential of this method.Given the difficulties of dating cave art (other than drawings created with charcoal, which can be directly dated by 14C), indirect dating methods have been sought. During the last decade, several publications have reported the dating by the U/Th method of thin layers of calcite overlying Paleolithic paintings and engravings or the support of these representations. In these cases, the age of calcite formation is assumed to provide a minimum age (terminus ante quem) for the underlying paintings or engravings or a maximum age (terminus post quem)when it is the support that is dated. The current article describes the relevance and potential of this method when applied to the dating of calcitic layers deposited above or below prehistoric drawings, together with the specific difficulties encountered in U/Th dating of such thin deposits. An initial difficulty is that thorium may be present in the calcite from the beginning (detritic thorium), making age corrections necessary.

Another difficulty is that in the humid conditions prevalent in caves, the walls may have been subject to runoff over time. In this case, thin calcite layers covering paintings or engravings may have been altered, with possible chemical exchange between the water and the calcite. The most probable effect of this "open system" behavior is the leaching of uranium, leading to an overestimation of the age of the calcite. Recent applications of the U/Th method to the dating of rock art have shown that this phenomenon, if not correctly identified by means of independent methods, may become a significant source of error. For this reason, it is important to know the concentrations of uranium in each calcitic sample, as this makes it possible to detect local anomalies that have led to a substantial loss of this element. In a recent paper concerning the U/Th dating of eleven Paleolithic decorated caves in the Cantabrian Region (Spain), extremely early dates were determined (more than 41,000 years in one case) and the authors speculated that certain representations could have been produced by Neanderthals. However as detailed analytical data (uranium content) have not been published one cannot appreciate the reliability of the ages obtained. Then, in the absence of confirmation by an independent dating method, it is premature to base an archaeological reasoning on these dates. This article emphasizes the necessity of carrying out several analyses on the same sample, and when possible on several layers from its thickness. Moreover it is important to perform cross dating using U/Th and 14C (or even using other elements such as 226Ra or 231Pa) in order to verify the consistency of the results. Several recent examples will illustrate this necessity. It should be also recalled that the calibration curves used to correct radiocarbon ages are largely based on the simultaneous dating by U/Th and 14C of the same samples of speleothems and corals. Finally, it has to be mentioned that when the deposits underlying paintings or engravings are studied, the data obtained could be distant in time from the creative act. In fact, the growth of calcite is controlled by environmental factors and is favored during temperate and humid periods. Thus, a large number of calcitic layers overlying paintings could have been deposited during the Holocene. They could also have grown during a brief warming of the last glacial period, or represent a mean age between several growing periods. Nevertheless, these chronological data could bring relevant information, once their validity has been verified.